EUROCRATUS
D'abord un grand merci à l'AFFCE de nous accueillir, moi-même et les deux post et pré-faciers de mon livre « Eurocratus », mes amis (de jeunesse) Karl Falkenberg, éminent Directeur général de l'Environnement à la Commission, et Hervé Jouanjean, qui fut Directeur général du Budget jusqu’à il y a peu et qui nous rejoindra plus tard ! J'ai délibérément choisi de m'entourer dans ce livre d'un Allemand et d'un Français, comme symboles du fondement de notre chère Europe. Cet acte fondateur ne nous a pas empêchés, loin de là, de rester nous-mêmes, attachés à notre identité nationale (on en parlera plus tard avec Karl !). J'ai été, pour ma part, très fier de présider, il y a quelques années, l'Association des Français Fonctionnaires des Communautés Européennes. On peut être un Européen convaincu, tout en restant soi-même, attaché à son pays d'origine. L'une de mes grandes motivations à l'époque, c'était surtout, à travers l'AFFCE, d'aller sur le terrain, de donner à nos compatriotes une autre image de l'eurocratie, une image militante. Voyez ce bel article du Monde, écrit par Jean de la Guérivière en 1992, intitulé « Les mal-aimés de Bruxelles », qui explique la démarche de l'AFFCE, alors présidée par Régis Malbois, et notre engagement dans la campagne pour le référendum sur le Traité de Maastricht, en accord avec Jacques Delors et son cabinet. Aujourd'hui, les eurocrates sont-ils toujours aussi mal-aimés ? La réponse est évidente et c'est ce qui m'a poussé à écrire ce livre. Je ne l'ai pas écrit pour simplement raconter une vie professionnelle à travers des épisodes et des anecdotes qui ne peuvent intéresser que ceux qui les ont vécus. J'ai voulu surtout communiquer l'esprit militant qui m'a animé tout au long de cet engagement professionnel. J'ai voulu aussi inciter l'eurocratie, et notamment les anciens, qui ont davantage de liberté de parole, à s'exprimer publiquement pour montrer une autre image de notre métier. C'est pourquoi j'ai créé, en tant qu'éditeur, une collection Europages, que mon livre inaugure. Y aura-t-il beaucoup d'ouvrages dans cette collection ? Pour l'instant, il y a un projet. J'espère qu'il y en aura d'autres, même si je ressens une certaine hésitation à s'exprimer de la part des anciens. Il faut reconnaître que le public d'aujourd'hui n'est guère tenté d'écouter ou de lire une eurocratie toujours aussi mal-aimée. Lorsque j'ai fait une signature de mon livre en Bretagne, un passant m'a carrément insulté. Ici, à Bruxelles, aucun libraire (mis à part Filigranes et la Librairie Européenne) ne s'est montré enthousiaste pour m'accueillir. Eh oui ! Ce n'est pas facile de montrer notre militantisme européen, mais il faut persévérer, tout en ne cachant point que notre militantisme n'est pas synonyme de réussite ! La cause que j'ai défendue autrefois avec le plus d'acharnement et dont je parle dans mon livre, le commerce comme moyen de lutte contre les mauvaises conditions de travail (notamment le travail des enfants) dans certains pays, s'est traduite, il faut bien le dire, par un échec, le dogme du libre-échange prévalant. La dimension culturelle de la politique de développement, le dernier thème qui m'a motivé, qu'est-elle devenue ? La réponse est dans la question. Mais ne soyons pas pessimistes, surtout pas, même si l'actualité récente nous a tous quelque peu perturbés. Il faut y croire. Il faut que nos institutions européennes prennent en main les défis du monde de demain, le social bien sûr, mais aussi l'environnemental, dont mon ami Karl est le principal responsable. Il veut inciter l'Europe (il le dit dans sa postface) à « trouver une convention pour un développement durable ». Pour cela, il faut que l'Europe sache convaincre ses États-membres, rassembler les différences d'opinion qui les motivent. Dire cela m'incite à revenir, à travers la peinture, à une image de l'Europe qui m'a toujours obsédé, celle des couleurs de Gauguin, qui se parlent et forment un tableau vivant, même si elles s'entourent de frontières. On appelle cela le « cloisonnisme ». Karl n'aime pas associer le mot « cloison » à l'Europe. En cela, il n'a pas tort. Le « cloisonnisme » de Gauguin, on l'appelle aussi « synthétisme », ce qui est peut-être plus approprié. Mais faut-il aller, comme le suggère Karl, vers le « pointillisme » ? Sommes-nous tous des « points » individuels dans le grand tableau de l'Europe ? Beau débat en perspective entre Karl et Hervé qui, lui, dans sa préface soutient plutôt l'idée d'une Europe qui s'enrichit des identités nationales. Cela dit, pourquoi la peinture a-t-elle, en ce qui me concerne, toujours nourri ma vision de l'Europe ? Gauguin est un peintre français, mais un peintre voyageur. Et les peintres belges ? Magritte, Rubens et tant d'autres, ne sont-ils pas, eux aussi, des figures de l'Europe ? Je n'oublie pas ce pays belge, qui n'est pas le mien, mais que j'ai, en quelque sorte, « adopté » et qui m'a, dès mes débuts, permis d'immerger dans la peinture, de l'apprendre, de la goûter, dans son esprit surréaliste. Je suis heureux que deux de mes amies peintres de ce pays soient là aujourd'hui : Cécile et Jaklien (et son mari Luk, architecte, une autre métier lui aussi artistique!). La peinture m'a fait aimer la Belgique. Il est pour moi fondamental que notre eurocratie tisse des liens avec la population belge, notamment bruxelloise, et ne s'enferme pas dans des cages de verre (tel était l'objet de mon deuxième roman, « Le Manteau blanc du Berlaymont »). L'Europe, c'est la recherche et la connaissance de l'Autre, et, par delà nos frontières internes, l'ouverture au monde. Il y a un pays lointain auquel je ne peux pas m'empêcher de penser, c'est le Vietnam, le pays d'origine d'un personnage hors du commun qui nous a guidés, Karl, Hervé, moi-même, et bien d'autres, au début de notre aventure professionnelle, qui fut notre chef et notre ami. Il est là aujourd'hui, et je le salue : Trân Van Thinh. J'en termine là. Place au débat !
F.-P. Nizery
